L’interview en détente de Guillaume Meurice, parrain du Festival Atmosphères 2023
Cette année, nous avons pu faire la rencontre de Guillaume Meurice, parrain de la 13e édition du Festival Atmosphères, se déroulant du 11 au 15 octobre prochain à Courbevoie. Une belle occasion de le questionner sur ses motivations, son rôle en tant qu’humoriste et chroniqueur, et, de manière plus globale, de l’utilité des arts et des sciences pour le monde de demain.
Bonne lecture…
Selon les mots du maire de Courbevoie, ville qui accueille le festival que tu parraines : “Guillaume Meurice est une preuve vivante qu’humour et sérieux peuvent faire bon ménage”. Penses-tu que nous avons besoin de ça, de cet humour, de cette légèreté, qu’incarne Atmosphères ?
On a toujours eu besoin de ça. Je n’oppose jamais le sérieux et l’humour quand on parle de sciences. La science est toujours vue comme quelque chose de sérieux, mais ce qu’on considère sérieux, c’est ce qu’on considère chiant. Alors que moi, je pense, que c’est une source d’émerveillement incroyable. Apprendre comment fonctionne l’univers, un animal, l’écosystème… cela ne devrait jamais être chiant ! C’est le mot sérieux qui est ambigu. On est des mammifères, nous les humains, donc comme tous les mammifères on apprend en s’amusant. Les petits lions ne vont pas 8h par jour à l’école devant un tableau… M’enfin, on ne va pas remettre en cause toute l’Éducation nationale aujourd’hui (rires).
Un festival dédié aux enjeux et aux solutions de développement durable… Comment apportes-tu ta touche artistique dans cet univers de chercheurs ?
Parce que c’est spectaculaire ! La science, les découvertes, sont spectaculaires dans le premier sens du terme ! Donc ce n’est pas si antinomique de les mettre en spectacle, de les expliquer sur scène. Je ne sais pas comment c’est dans les autres pays, si c’est très français ou non, mais opposer la filière scientifique à la filière littéraire, les poètes des mathématiciens… En fait, les maths, quand tu bouffes un petit peu, tu comprends que c’est de la poésie, de la pure abstraction, c’est la base de l’art !
On pourrait parler d’un modèle scientifique et littéraire… les Lumières sauce XXIe siècle ?
Exact ! On aurait jamais dû séparer les matières. Ce que veut faire le festival, c’est l’inverse total. Allier les deux, apprendre les uns des autres, et j’adore ce genre de démarches.
“Les solutions existent et nous permettent de féconder nos imaginaires vers l’émergence de nouveaux modèles”, et ce n’est pas moi qui le dis, mais Pascal Signolet, fondateur du festival…
Ah oui, le “chef” (rires).
Comment imagines-tu ces solutions, face aux difficultés de notre époque ?
On est sûr une bataille culturelle. On parle souvent de prise de conscience, mais maintenant c’est bon. Plus personne n’ignore le réchauffement climatique sauf 2/3 débiles sur Twitter (X). On a plus besoin de ce qui était nécessaire il y a quelques années. La phase d’après, c’est s’organiser collectivement, comme dit Pascal. On se rend bien compte que les politiques en démocratie, ils suivent l’opinion publique… ils sont obligés quoi. Si en tant qu’artiste ou directeur de festival tu ne fais pas ce taf-là, je ne vois pas qui va le faire. Faut pas attendre que les solutions viennent d’en haut, elles ne viendront jamais d’en haut.
Le festival veut mettre la culture au service de la transition écologique et sociale, promet une programmation pluridisciplinaire accessible à tous et à toutes, est entièrement gratuit… des engagements forts qui ne sont pas partagés partout (je cite alors l’exemple de Change Now, événement annuel grâce auquel j’ai entendu parlé de Guillaume Meurice pour la première fois). Pourtant sur le papier, il y a une vision commune, à savoir traiter de ces sujets-là à travers spectacles, expositions, tables rondes…
C’est sûr. Mais quand tu fais un échange marchand, tu te délaisses de quelque chose pour acquérir quelque chose. Atmosphères, c’est avant tout le partage de connaissances. On parlait de la prise de conscience, aujourd’hui plus personne n’ignore que le gros problème actuel, c’est la structure économique. Quelle est la cause du réchauffement climatique, la cause de l’épuisement des ressources ? C’est le capitalisme. Ça parait marrant de voir, lors de ces événements, ces gens qui épousent à fond le capitalisme, comme si c’était un système vertueux qu’on va pouvoir modifier… Je me souviens avoir vu un projet de mettre des voiles à des cargos… tant qu’on se posera pas la question de pourquoi il y a des putains de cargos, est-ce qu’on a vraiment besoin de transporter les merdes depuis la Chine etc… Voilà, tant qu’on n’aura pas ça, pour l’instant, c’est mignon. Le logo de Total en vert… c’est vraiment du greenwashing !
Mais bon, après, c’est mieux que rien. C’est toujours pareil, on est tellement dans un niveau de désespoir absolu (rires), tu te dis, le moindre petit geste… Moi, j’ai grandi avec des parents écolos dans les années 80/90, personne ne parlait d’écologie. Tout le monde se moquait sans méchanceté “ah tiens les écolos…”. Pas du tout une thématique dans le débat public. Je me rappelle une vidéo d’Haroun Tazieff, […], un des premiers à avoir parlé du CO2, tout le monde se foutait de sa gueule sur les plateaux télés. Une vidéo avec le commandant Cousteau qui le méprise ouvertement… Je remarque quand même aujourd’hui qu’une thématique s’est imposée, peut être possiblement trop tard mais en tout cas elle est là. On en est quand même à se dire “bon les entreprises sont obligées de faire avec”. Au moins même les mecs de droite, même Eric Ciotti est obligé de parler écologie dans son discours. Mais on voit bien que cela ne suffira pas…
Étant donné que le festival est ouvert à tous et à toutes, as-tu quelqu’un en tête à inviter, un réfractaire peut-être ?
Ah ! (réfléchis)… peut-être cela pourrait être intéressant, je ne sais pas si tu vois qui c’est Albert Moukheiber… Non, je change. Je pense naturellement à une neuroscientifique qui s’appelle Samah Karaki, que j’aime beaucoup. Elle a fait tout un travail sur la question du mérite, et toute la logique capitaliste, qui est basée sur cette fable-là. “On a que ce qu’on mérite, si t’es riche c’est grâce à toi…” Une mythologie dans laquelle on vit et qui est assez puissante. Ça ne parait pas avoir de lien avec la transition écologique et ce genre de choses, mais pour moi si. Quand tu remontes la cause des causes, ben… cette structure économique qu’il faudra changer, ça passe aussi par la déconstruction de ces histoires du mérite, de la productivité… donc je dirais Samah Karaki !
Parlons art un petit peu ! La cérémonie d’ouverture du festival se déroule le mercredi 11 octobre à 20h30. “Le théorème de Marguerite“, film réalisé par Anna Novion, sera projeté ce soir-là. Une œuvre qui interroge sur la place du féminin dans notre société, est-ce que pour toi, le cinéma doit-il se rapprocher de ces questionnements essentiels ? Est-ce un synonyme de cinéma moderne ?
Il est temps que cette partie de la société s’en empare ! Au cinéma, en plus, il y a vraiment une question de représentation. J’avais discuté il y a quelques années de ces sujets-là avec une copine qui me disait qu’enfant, elle était passionnée d’aviation. Mais bizarrement on lui répondait toujours “tu pourras faire hôtesse de l’air !”, personne lui a dit “tu pourras faire pilote”. C’était ça nos représentations. Et évidemment, le cinéma peut aider à changer ces représentations. Mais c’est toujours un peu ambigu le monde de l’art. Des gens du milieu ciné vont te dire qu’ils sont censés mettre en scène la réalité. Le cinéma que je trouve le plus intéressant, c’est celui qui met en scène cette ambiguïté-là.
Si le cinéma peut contribuer à créer une confusion entre le réel et la représentation de la réalité, tu crois qu’il pourrait de lui-même empêcher ce besoin de changement ?
C’est la question de l’intention, ouais. Quand les intentions ne sont pas claires… c’est assez passionnant. Est-ce qu’il faut séparer l’homme de l’artiste etcétéra… c’est passionnant. Tout dépend de l’intention. Tu sais, nous en tant qu’humoriste, on nous demande souvent “est-ce qu’on peut rire de tout”… c’est pas tellement les sujets, c’est l’intention que tu mets. Pourquoi tu ris en vrai ? Pourquoi t’as mis en scène tel film, quel est ton discours, la manière dont tu filmes… c’est toute la réflexion qu’il y a derrière, au-delà de l’émotion que tu pourrais ressentir devant un film. “Tiens, qu’est-ce que la personne a voulu me dire”, c’est ce qui me passionne le plus. En plus, un film c’est long, pourquoi cette personne a mis 5 ans de sa vie entre parenthèses pour trouver les financements machin… même les films que j’ai pas compris, je me dis toujours que cette personne s’est fait chier à faire ça. Il y a forcément une raison. J’ai du mal à dire c’est de la merde, ce genre de trucs… Peut-être parce que je suis dans le processus créatif aussi. On peut aimer un film et pas aimer le propos !
Plusieurs spectacles qui seront proposés au festival, j’ai moi-même une certaine curiosité pour certains… Est-ce que tu peux me parler de L’infini de l’univers et de la bêtise, le spectacle que tu joues avec l’astrophysicien Éric Lagadec sur scène ?
On est parti d’une phrase d’Einstein, assez connue pour être de lui mais possiblement apocryphe : “il y a deux infinis, l’univers et la connerie humaine (la bêtise humaine) et encore pour l’univers je ne suis pas certain”. En partant de cette phrase-là, on se disait qu’Eric est un spécialiste de la poussière d’étoile à l’observatoire Nice Côte d’Azur, et moi un spécialiste de la connerie (rires), depuis pas mal d’années… c’était bien trouvé. Présenté comme une conférence, on explore. On part du petit, lui parle de la Terre, puis le système solaire etc… et moi je pars de la petite connerie… Sans spoiler, on finit par se rejoindre sur la plus grosse connerie : c’est l’humain qui fout en l’air son écosystème alors que c’est la seule planète connue habitable, pour nous, dans l’infini de l’univers. On en profite même, pour pas rester chacun dans son coin, d’échanger. Parce qu’il y en a eu des conneries en astrophysique ! Moi je m’amuse à faire la théorie de la connerie. Tu connais l’effet Dunning-Kruger ? C’est un effet de surconfiance, lorsque tu t’intéresses à un sujet, assez rapidement tu penses tout savoir. C’est ce qui s’est passé pendant le Covid, les gens ils avaient que ça à foutre et ils se renseignaient, en deux jours ils devenaient médecins. Et donc je m’amuse sur le terrain scientifique en essayant d’expliquer d’où vient la connerie.
C’est un public sympa, les scientifiques ?
Les chercheurs, c’est drôle de les rencontrer, je ne les connais pas trop. Ils sont méga précis, très obsessionnels, mais ils se marrent ! On est loin du mythe du chercheur dans son labo avec sa blouse (rires). Mais ils m’intéressent vraiment. Je présente aussi au festival un docu que j’ai coécrit, sur les delphinariums, les parcs à cétacés. Ça s’appelle Delphinarium Game over, car c’est un sujet qui me passionne. Je suis passionné des orques, il y en a quatre encore en captivité en France au Marineland d’Antibes. Donc, on est allé filmer en caméra cachée… et donc je présente un documentaire là-dessus avec les travaux de chercheurs.
Les océans et la faune marine sont évidemment des sujets centraux pour le festival, quand tu me parles de ton documentaire, j’ai l’impression que c’est un sujet qui te tient à cœur, non ?
Oui, je suis contre la captivité de tous les animaux. Alors évidemment, quand on dit un truc pareil, on va me répondre “bah oui mais un chat dans un appartement, est-ce qu’il n’est pas captif ?”. Je cherche tout le temps la petite bête donc forcément j’ai l’habitude qu’on le fasse pour moi (rires). Nan mais tous ces parcs-là, c’est des trucs de l’ancien monde. Surtout les cétacés, c’est des animaux sociaux qui parcourent des centaines de kilomètres par jour. Tu les fous dans une bassine, franchement t’as envie de les piquer. Ils font des tours toute la journée… et tu sais que si tu les relâches, elles ont perdu leur famille, leur instinct de chasse… bref encore une fois c’est une histoire de pognon. Ça vient souvent des militaires, c’est intéressant. Ils se sont rendu compte que c’était facile de dresser des dauphins… des dauphins démineurs pour l’armée américaine… même encore pendant la guerre entre l’Ukraine et la Russie… Donc ouais, après ils se sont dit qu’on avait qu’à leur faire faire des pirouettes et vendre des glaces… ça a bien marché.
La science-fiction peut nous aider à prendre du recul face à ces situations catastrophes… Cela me permet d’évoquer la Nuit de la Science-fiction, qui se déroulera le vendredi 13 octobre. Au programme, 2001 : L’Odyssée de l’espace, Mars Express (en avant première), Mad Max, et Matrix. Une préférence parmi les trois films qui ont marqué des générations ?
Je suis hyper nul en science-fiction […] Mais je choisirais bien Matrix pour des questions de philosophie morale, se dire “Qu’est-ce que la réalité”. J’aime bien la question que pose le film. Qu’est-ce que la réalité, c’est passionnant ! Si on me disait, bon bah en fait t’es juste un cerveau dans un bocal avec des électrodes, tu accepterais d’être débranché ? Que des expériences de pensée. Prêt à revoir 2001 aussi, j’étais trop jeune !
J’ai vu par ailleurs que le festival allait aussi axer ses conférences sur les nouvelles technologies, capables ou non de façonner le monde de demain (qui on l’espère sera durable). Il y aura notamment une conférence sur les intelligences artificielles dans l’usage créatif, tu imagines le futur avec ça dans tes spectacles ?
C’est déjà le présent ! C’est un outil quoi, et comme tout nouvel outil, une certaine partie de la population peut ressentir de la peur, alimentée par un certain média… (rires). Mais oui, l’outil, il faut apprendre à s’en servir. Après tout, quand t’utilises un marteau, tu mets pas tes doigts ! Pareil avec les réseaux sociaux, c’est un outil quoi. Pour les trucs méga chiants à faire et administratifs, si on peut faire gagner du temps à l’humanité, avoir plus de temps pour s’occuper de ses gamins… c’est cool. Pour la création pourquoi pas ! Mais on y revient sur qu’est-ce que la réalité… Je recommande d’écouter Asma Mhalla, sur tous les enjeux géopolitiques de l’Intelligence artificielle, c’est passionnant !
Si tu devais avoir quelques mots pour terminer, en tant que parrain du festival, ce serait quoi ton message ? Comment est-ce qu’on peut agir, pour le monde de demain ?
Je suis assez pote avec Pablo Servigne. C’est un chercheur qui s’intéresse à tout un tas de sujets autour de la transition écolo… et la collapsologie. C’est démobilisateur ça quand même. C’est encore un vrai questionnement philosophique. Moi je dis qu’on n’a pas le choix, allons-y, tentons de sauver l’humanité ! N’ayons pas de regrets ! C’est le défi ultime qui devrait souder l’humanité… pour l’instant c’est pas le cas (rires) je ne vais pas spoiler mais bon, si vous n’avez pas suivi les derniers épisodes c’est pas vraiment encore ça qui se passe ! […] Je ne sais pas, peut-être qu’avant, le ressenti était différent. Je pense aux grandes épidémies de peste à l’époque, peut-être qu’ils voyaient ça aussi comme la fin de l’humanité, ils avaient peut-être le même ressenti que nous… faudrait demander à des historiens, ce serait intéressant ! Souvent l’argument qu’on nous oppose c’est : vous allez avoir que des convaincus dans la salle. Si il y a une phrase que je retiens, c’est celle du groupe Zebda. Un groupe toulousain engagé à gauche, tu es peut-être un peu jeune pour connaître (rires). Ils disaient : “Oui on sait bien que notre concert/album ne va pas changer le monde, mais ça donne du baume au cœur aux gens qui luttent”. C’est pas une chronique ou une blague qui va redresser la situation, mais souvent les gens dans la merde me disent que ça leur fait du bien d’écouter mes chroniques, “je me sens moins seul”… J’ai surtout envie de m’amuser, c’est un peu égoïste mais bon. Je suis plus utile à dire des conneries sur scène !
https://www.guillaumemeurice.fr
Propos recueillis par Martin Delalande
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